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Pianiste classique de formation, Irmin Schmidt a passé sa vie à explorer de nouveaux univers sonores. Fondateur du groupe de rock allemand CAN, chef d’orchestre et compositeur (opéra, ballet et musique de films), l’homme nous a donné trente minutes pour parler de culture musicale, de CAN, de sa carrière solo et de son actu. A découvrir...
 
Interview réalisée le 14 janvier 2011


Novorama : Votre promo se passe bien ?

Irmin Schmidt : Oh oui. J’aime bien être à Paris. C’est la routine.

Irmin Schmidt, nous allons parler de vous, de votre formation, puis de CAN et ce que vous avez fait en solo ou avec d’autres.
Je rappelle que vous êtes compositeur, pianiste et chef d’orchestre de formation. Vous avez été l’élève de Karlheinz Stockhausen, pendant une année, en 1966 et de Ligeti.

Oui, plutôt deux années…

Quelle a été l’influence de ces maîtres ?
Au niveau musical, vous étiez dans le carcan classique mais vous étiez orienté vers d’autres musiques ?

Oui, j’ai toujours aimé le jazz par exemple et j’ai toujours eu l’idée que cette musique était nouvelle, tout comme la musique que Stockhausen voulait. C’était une chose nouvelle dans la culture musicale européenne. Et le jazz était quelque chose de totalement ouvert dans notre culture, les sources étaient en Afrique et amenées des Etats Unis. Et c’est devenu une musique nouvelle.
Et je n’ai jamais accepté ce high and low, cette différence qu’on avait entre la musique savante et la musique entertainment, parce que dans toutes les deux, il y a la grande musique.

Il y avait aussi le rock et dans les années 60-70, quand Jimmy Hendrix est apparu, c’était une musique complètement nouvelle. Il a presque créé la guitare, dans un nouveau sens.

Et il y avait aussi une autre idée nouvelle dans la philosophie, dans la culture européenne mais ouest, c’était l’ouverture vers les cultures extra-européenne. Comme dans la peinture du XXème siècle, Picasso et les autres, se sont servis des éléments esthétiques d’Afrique et cette ouverture était aussi nouvelle. Et tout d’un coup, on a connu cette musique très intéressante.

J’étudiais avec Stockhausen et j’étudiais aussi l’ethnologie, les rites liés aux musiques, surtout la musique ancienne du Japon.

irmin_2.jpgEn fait, cette période d’après guerre était ouverte et on découvrait de nouveaux cadres culturels.

Oui, il y avait plusieurs raisons et notamment le colonialisme. Ce n’était pas seulement mauvais, ça a aussi permis de comprendre les cultures extra-européennes, ne pas les supprimer mais les comprendre.

Pour la petite histoire concernant la formation de CAN, on raconte que c’est Holger Czukay qui a fait écouter Stockhausen à Michaël Karoli et ce dernier lui a fait écouter « I am the Walrus » des Beatles. Est-ce la vraie petite histoire ?

Oui, c’était en 1967-1968, j’ai eu l’idée de fonder un groupe, pas de rock forcément mais je ne savais pas trop. Tout ce que je voulais, c’est pour ça que je vous parlais des différentes nouvelles musiques à l’époque, c’était un musicien de jazz ou de formation, un guitariste de rock et naturellement moi, un vrai musicien de classique. De nous mettre ensemble et de voir ce qui se passe.

Alors j’ai demandé à Holger Czukay si il était intéressé, il a dit « oui », il était assez ravi de cette idée. Il m’a dit : « J’ai un étudiant qui joue de la guitare et il est vraiment super doué. Un vrai guitariste de rock (Michaël Karoli), il n’avait aucune formation musicale. Je l’emmène avec moi, on verra. ».

Ensuite, on a fait un grand meeting et j’ai dit à Jaki Liebezeit : « Est ce que tu connais un batteur de jazz qui serait intéressé ? »  «  Oui, je connais quelqu’un » et, finalement, c’était lui.
Au début, je ne voulais pas quelqu’un du free-jazz mais il voulait jouer du free-jazz.
Moi, j’ai commencé ça en trouvant des gens, après, ça s’est fait.

Au début, le groupe s’appelait Inner Space et The Can, et enfin les acronymes de « Commusime Anarchisme Nihilisme ».  Expliquez nous comment le nom du groupe a été choisi ?


Le nom a été choisi après l’arrivée de Malcom Mooney (chanteur de 1968 à 1969, 1986–1991). On a toujours cherché un nom et un jour, Jaki et Malcolm sont venus au studio et ont dit : « qu’est ce que vous pensez de CAN ? ». Tout le monde a dit : « C’est court, mais on veut bien lui trouver un sens. ».

Concernant la musique de CAN, c’était très expérimental à l’époque de l’album Tago Mago (1971) par exemple. Vous jouiez principalement avec la répétition, l’environnement et l’improvisation.

Ouais, c’est ça. Et il y a l’autre influence sur moi, surtout parlant de l’environnement. J’ai travaillé et rencontré John Cage plusieurs fois et sa philosophie de laisser entrer l’environnement dans la musique, que tous les sons peuvent devenir musique si on extrait une sorte d’atmosphère de l’environnement.
Ça m’a toujours fasciné, même avant la connaissance de Cage. Enfant, j’étais déjà fasciné par l’environnement, presque plus que par la musique.

D’ailleurs, à votre premier concert en octobre 1968, vous avez utilisé les bruits des manifestations qui se passaient en France ?

Oui, aussi (rires)

Au niveau de l’évolution de CAN, en 1974, par exemple, vous avez mis du reggae dans un titre rock (Soon Over Babalumai) et en 1973, avec Future Days, vous abordiez des thèmes plus ambient que rock.

Ah oui, avec Future Days, on a surtout enregistré en été et on a laissé les portes donnant sur le jardin bien ouvertes. Et tous les sons de l’extérieur, à côté du studio, il y avait un jardin avec une piscine, des gens, des enfants, les bruits de la rue, tout ça est entré dans la musique.

Au début du morceau Future Days, ça commence avec un drôle de bruit. En fait, c’était un bruit de coussin avec des petits morceaux de polystyrène, c’était la mode à l’époque. On pouvait plonger dedans et Damo (Damo Suzuki, chanteur du groupe de 1970 à 1973), avec le micro en main, a bougé et enregistré ce bruit avec lequel Future Days commence.
Notre studio était une sorte de station de science fiction.
 
CAN commence très tôt à faire de la musique de film (avec l’album Soundtracks en 1970). Vous voulez bien nous parler nous de ça ?
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Oui, au début de CAN, on a fait à peu près une dizaine de musiques pour les films. Quand on est devenus plus connus, on a fait beaucoup de concerts, on a fait des disques, on a abandonné le travail pour les films. C’était parce que je faisais déjà des musiques de films avant CAN et du théâtre. J’ai apporté cette musique dans CAN et c’est beaucoup…
Mais parlant de musique de films, on va sortir très tôt un Soundtracks n°2. J’ai fouillé dans mes archives, qui sont vraiment énormes. J’ai écouté presque quarante heures de musique.

A l’époque, on faisait seulement le son des génériques de films mais pas sa musique. Et là, j’ai trouvé des petits et longs morceaux qu’on a fait pour les films ou en travaillant dessus. J’ai sélectionné les meilleurs et les ai monté.
 
 
Vous aviez une manière spéciale de composer les musiques de films avec CAN. Vous alliez voir le film puis vous décriviez au groupe les scènes du film pour imaginer et interpréter la musique que vous alliez faire ensemble ?

J’ai toujours eu la conviction que si les musiciens regardent le film et jouent dessus, il y a trop de commentaires à faire. Au lieu de faire quelque chose qui est unwrite, qui peut exister mais aussi qui est une histoire parallèle au film.

C’était un peu votre interprétation du film avec le groupe, en fait ?

Oui, c’était moi qui allais voir le film et le racontait ensuite au studio pour créer une certaine atmosphère. Puis après, on a oublié le film et on a fait un morceau de musique. Mon devoir était juste de faire attention à ce que ça reste dans l’esprit du film.

Vous avez sorti deux rééditions sur le label Mute / Naïve, Filmmusik Anthology vol. 4&5 (2009) qui concerne la période 1973 jusqu’à 1993 et Axotoltl Eyes avec Kumo (2008).
 
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Comment s’est passé votre rencontre avec Kumo, lorsque vous montiez votre opéra Gormenghast (première en 2000) ?

C’était vers 1997, après avoir terminé le travail de partition pour l’opéra. Il me fallait un ingénieur du son qui était aussi bien de formation classique que rock. J’ai trouvé Kumo. Il a travaillé sur l’enregistrement de Gormenghast et les sons concrets.
 
Il est considéré comme une figure du break-beat. Comment s’est passé votre première collaboration sur Masters of Confusion (2001). Vous vouliez pousser une autre frontière musicale ?

Oui, c’est vrai mais d’un autre côté, il avait un concept unique : utiliser vraiment tous les aspects de la musique du XXème siècle, le rock, la techno et le classique, sous un autre angle. Et là aussi, j’ai eu vraiment un grand plaisir à jouer encore du piano à queue.

En automne on va jouer à Aix-en Provence. Vous pourriez avoir la chance de venir, c'est pas trop loin de Toulouse!

Je voulais vous poser aussi une question sur les groupes d'aujourd'hui en matière de rock expérimental ou plutôt de rock psychédélique. Est-ce que vous connaissez un groupe qui s'appelle Oneida ?

Non. Je connais peu et écoute peu, même si j’entends ce genre de groupes lorsque des gens me font écouter, me disent « écoute ça ». Si on crée la musique, on ne peut pas l’écouter tout le temps. J'écoute souvent des musiques nouvelles très actuelles, mais j'oublie toujours les noms ! (Rires)
 
Oui, la musique va trop vite !

Oui et pas seulement ce genre de musique, la musique classique aussi !

irmin_3.jpgVous avez exploré beaucoup de territoires musicaux à la recherche de styles différents. Est-ce que vous pensez que la musique est une sorte de reflet de l'âme, de mystique personnelle. Pourquoi ces explorations ? Est-ce dû à votre culture, à votre vécu ?

A tout ça, oui. L'environnement change, l'histoire change. Alors, comme vous l'avez dit, les différents artistes changent parce que le monde change.
Je ne comprends pas comment des personnes peuvent être tellement pessimistes à propos de ces changements. Moi je pense qu'il y a toujours de nouvelles réponses à apporter pour comprendre les mouvements du monde. Des réponses surprenantes, intéressantes et créatives qui reflètent l'âme, comme vous avez dit, oui, pourquoi pas.

Ce que vous avez fait avec CAN, les musiques de films et avec Kumo révèlent des thématiques assez profondes, un peu obscures mais à la fois très rythmées et encore lumineuses parfois. En fait toute votre musique est très profonde ?


Oui c'est vraiment quelque chose que je veux. On peut toujours trouver quelque chose de nouveau dans cette musique, même après l'avoir écouté vingt fois, du fait de sa complexité.

Et de sa sensibilité aussi ?


Oui ! Bref, c'est de l'Art ! (Rires)

Merci, une dernière question : vous avez appris le Français très tôt ou non ?

Non ! Seulement depuis que j'y vis, dans le Lubéron. J'y vais souvent, mais pas en ce moment.

Merci beaucoup, j'éspère vous voir en Mai à Aix-en-Provence. Bon après midi.
 

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