On a difficilement pu passer à côté du phénomène Die Antwoord si l'on est, comme tout humain normalement constitué, doté d'un ordinateur connecté à Internet : que ce soit pour leur prestation déguisés en Pokémon au LED Festival avec Aphex Twin en DJ, ou le clip de Beat Boy exhibant au monde entier leurs allures freak, le groupe aura été pendant près de trois mois à la hype ce que le trou est au donut : une entité qu'on a pu ignorer, même avec la meilleure volonté du monde.
Le groupe, originaire de Cape Town (Afrique du Sud), se compose du producteur DJ Hi-Tekk et de Ninja et Yo-Landi, les deux MCs du groupe… Et difficile de définir clairement dans quoi on se situe. On entre dans le domaine de la techno cheesy, du Hip Hop ringard, le tout bien sûr dénué de la moindre dose d'intellect, de finesse. On se dit que rien n'est alors susceptible de nous rallier avec la hype Die Antwoord avant que la platine ne se décide à lire les onze titres de $O$ dans leur plus stricte intégralité. Et pourtant…
Commençons par le commencement, tiens. Ben Beat Boy justement, parlons en du phénomène : ça commence avec un beatbox un peu moisi et voilà que déjà Ninja crache un texte complètement approximatif à la vitesse de la lumière dans un Anglais... Assez moisi lui aussi. Puis le morceau vire à la A Milli, gros drops de basse, refrain absolument criard de Yo-Landi, unique entité féminine qui reste complètement bloqué dans ma tête, et pas en phase mais alors, pas du tout avec le reste du morceau. Et pourtant, le tout va prendre une tournure interdite et virer à la rave party la plus dingue, faire tourner le tout en une montée techno « cassage de nuque en règle » qui ressuscite les TR909 de l'époque et qui fout pas mal de sueur dans les oreilles. Et c'est peut-être là qu'on tient une des plus grosses forces du groupe sur ce premier essai, d'arriver à partir de quelque chose qui fleure bon le bide (et qui parfois le touche bien plus que du bout des doigts) pour retourner sa veste à la moitié ou au dernier tiers du morceau et faire virer la sauce en un truc inédit qui va nous faire trémousser l'appendice ventral en short Dark Side Of The Moon. Inédit, oui.
Dans la même veine un peu plus loin, c'est Wat Kyk Jy ? qui va marquer le revival inattendu de la dance music façon 2 Unlimited. Ca rajeunit personne, ça nous rend certainement pas plus intelligent non plus, mais cette régression musicale à quelque chose de festif, de communicatif... D'ecstatique, voilà. Le groupe ne se prend pas au sérieux, et c'est peut-être toute la nuance qui va séparer d'un côté les fans qui vont légitimement péter un câble au son des synthés volontairement vulgaires du refrain (voire en redemander), des mecs de l'autre côté qui vont exiger un flash de Neurolazer histoire qu'on leur rende ses quatre précieuses minutes de leur vie.
Et devant une telle cascade de second degré en deux morceaux, on a du mal à se dire que le reste de l'album va tenir la cadence : il n'en est rien, on se rend que trop vite compte qu'on s'est mis le doigt dans l'œil bien plus que jusqu'au coude. Fish Paste ou $copie par exemple, ce sont des foutues tueries en puissance, le premier singeant à merveille les productions un peu sulfureuses de mecs comme Bangladesh ou Timbaland en les détournant en égotrip porno (avec quelques jolies perles du style « Yo I'm the Ninja in charge I can't even believe my fucken dick is so large » ou «Let me help to make you famous, jissis but you rap kak, when you rap you actually sound like you're having a fat kak »), là où $copie n'est pas sans rappeler les ébats Baile Funk des Bonde Do Role ou encore Buraka Som Sistema, avec une bassline aussi festive qu'une fête foraine. On saute partout, bonheur, on à de nouveau 16 ans. Et puisqu'on parlait de Bonde Do Role, quelle n'est pas la surprise de retrouver à la production d'Evil Boy… Un certain Diplo, passé depuis 2007 grand maître dans l'art du plaisir coupable entre l'excellent second album de M.I.A ou le tout à fait honnête projet Major Lazer sorti l'an dernier ? L'homme signe pour les trois lurons l'un des plus grands morceaux de bravoure de l'album à mi-chemin entre cérémonie tribale clapée, Dirty South schizophrène, et pop song moite. Et le groupe, loin d'être à côté de la plaque, a bien senti le filon. Et histoire de chauffer un peu plus haut le buzz, dote cette petite perle d'un clip viscéral, comme si Marc Dorcel réalisait un boulard gothique dans le labyrinthe de Pan de Del Toro.
« Et si l'on s'arrêtait là ? » pense t'on un peu en rougissant, sans jamais vraiment le vouloir. Mais non, non, le groupe éprouve le besoin de nous garder encore un peu de notre énergie histoire de nous abreuver d'encore deux titres qui nous en mettent une grande avec la paume.
Et justement, le premier d'entre eux porte assez bien son nom : In Your Face, premier morceau du premier album, le groupe avait donc pas intérêt à se louper. Et grand bien leur en fasse, ils envoient ici l'un de leurs meilleurs beats : grosses régressions Rock qui permettent aux deux MCs de lâcher toute leur hargne, syllabes cuttées de toute part, puis beat qui finit par vriller dans les abysses d'une avalanche de basses cathédrales. Les voix des deux MCs se mélangent, ils se mettent à chanter d'un coup, pour revenir à la charge avec leur flow mitraillette… C'est juste un gros bordel absolument jouissif qui nous arrive, effectivement, « dans la gueule ».
Quant à She Makes Me A Killer, il ne joue pas exactement dans le même registre, du haut de ses huit minutes (!). Beat simple, étouffé, clavier en putréfaction, Ninja est ici seul à poser et crache son texte le mieux dosé, rythmé et son flow le moins « pute » de tout l'album. Le rythme est parfait ici. Non sérieusement, dans la façon qu'à le morceau d'évoluer on ne joue clairement pas la même catégorie que sur le reste de l'album et c'est peut-être ce qui fait qu'il sorte aussi nettement du reste de la tracklist. Grosse tension quand le refrain se fait sentir par contre, fini de rire, Ninja te bloque la tête entre ses deux mains potelées, les claviers se chargent de te prendre la gorge et le flow de Ninja monte crescendo (ce « keepin' me pushin' and pushin' and pushin' » m'a même fait faire des cauchemars) avant de t'hurler à la gueule « SHE MAKES ME A KILLERRRRR ». Et là paf, on est 20 km au dessous du sol avec une bonne partie du cuir chevelu en moins, et quand on ne sait pas que le hurlement revient près de trois fois dans le morceau, on prend peur. Torture subliminale, mort lente sur l'autoroute, colère dans le ventre, perte de conscience, décès. Quand le morceau se termine sur ses chœurs cathédrale, on en est loin d'avoir fini. Alors on remet le morceau histoire de revivre ses huit minutes durant lesquelles on était au moins encore un peu vivant, en hurlant toujours plus fort. Lyrics débiles, toujours, et morceau à caractère chimiothérapique. Foutu paradoxe.
Bien sûr, devant un tel portrait, je me perds un peu dans les qualificatifs juteux de celui qui essaie de défendre non sans difficulté un plaisir coupable au sein de la pléiade de sorties un peu plus consistantes pour l'intellect de ses derniers temps, mais l'album ne réussit pas le sans faute, et on retrouve dans le tracklisting de petites erreurs de parcours peu inspirées et dans lesquelles, pour le coup, on entre vraiment dans le domaine du bide : ainsi, Rich Bitch, Enter The Ninja, ou l'un peu trop fanfaron Doos Dronk viendront un peu tâcher ce si plaisant napperon gras. Car oui, on ne peut que s'incliner dignement devant l'esprit décomplexé et l'énergie rave que déploient le reste de l'album, véritable boulet de canon. Certains passages m'ont même ramené à tout ce qui m'a fait aimer Spank Rock ou Buraka Som Sistema : un côté novateur, voire même carrément freaky et osé, le tout avec un enthousiasme absolument contagieux et, mine de rien, une fraîcheur bienvenue dans le genre.
Volontairement régressif, jamais sérieux, on entre ici dans quelque chose de complètement primaire et assumé. Vous êtes maintenant prévenus, plus de secret entre nous : $O$ est typiquement le genre d'album qu'on ne veut pas aimer. Aussi jouissif qu'interdit, aussi régressif que subtil, qu'importe si d'ici dix ans on entend plus parler de Die Antwoord, l'album est suffisamment ambitieux, suffisamment fou et dansant pour qu'on y trouve largement notre compte… Ou qu'on prenne ses jambes à son cou.
Une vraie petite bombe.
Commençons par le commencement, tiens. Ben Beat Boy justement, parlons en du phénomène : ça commence avec un beatbox un peu moisi et voilà que déjà Ninja crache un texte complètement approximatif à la vitesse de la lumière dans un Anglais... Assez moisi lui aussi. Puis le morceau vire à la A Milli, gros drops de basse, refrain absolument criard de Yo-Landi, unique entité féminine qui reste complètement bloqué dans ma tête, et pas en phase mais alors, pas du tout avec le reste du morceau. Et pourtant, le tout va prendre une tournure interdite et virer à la rave party la plus dingue, faire tourner le tout en une montée techno « cassage de nuque en règle » qui ressuscite les TR909 de l'époque et qui fout pas mal de sueur dans les oreilles. Et c'est peut-être là qu'on tient une des plus grosses forces du groupe sur ce premier essai, d'arriver à partir de quelque chose qui fleure bon le bide (et qui parfois le touche bien plus que du bout des doigts) pour retourner sa veste à la moitié ou au dernier tiers du morceau et faire virer la sauce en un truc inédit qui va nous faire trémousser l'appendice ventral en short Dark Side Of The Moon. Inédit, oui.
Dans la même veine un peu plus loin, c'est Wat Kyk Jy ? qui va marquer le revival inattendu de la dance music façon 2 Unlimited. Ca rajeunit personne, ça nous rend certainement pas plus intelligent non plus, mais cette régression musicale à quelque chose de festif, de communicatif... D'ecstatique, voilà. Le groupe ne se prend pas au sérieux, et c'est peut-être toute la nuance qui va séparer d'un côté les fans qui vont légitimement péter un câble au son des synthés volontairement vulgaires du refrain (voire en redemander), des mecs de l'autre côté qui vont exiger un flash de Neurolazer histoire qu'on leur rende ses quatre précieuses minutes de leur vie.
Et devant une telle cascade de second degré en deux morceaux, on a du mal à se dire que le reste de l'album va tenir la cadence : il n'en est rien, on se rend que trop vite compte qu'on s'est mis le doigt dans l'œil bien plus que jusqu'au coude. Fish Paste ou $copie par exemple, ce sont des foutues tueries en puissance, le premier singeant à merveille les productions un peu sulfureuses de mecs comme Bangladesh ou Timbaland en les détournant en égotrip porno (avec quelques jolies perles du style « Yo I'm the Ninja in charge I can't even believe my fucken dick is so large » ou «Let me help to make you famous, jissis but you rap kak, when you rap you actually sound like you're having a fat kak »), là où $copie n'est pas sans rappeler les ébats Baile Funk des Bonde Do Role ou encore Buraka Som Sistema, avec une bassline aussi festive qu'une fête foraine. On saute partout, bonheur, on à de nouveau 16 ans. Et puisqu'on parlait de Bonde Do Role, quelle n'est pas la surprise de retrouver à la production d'Evil Boy… Un certain Diplo, passé depuis 2007 grand maître dans l'art du plaisir coupable entre l'excellent second album de M.I.A ou le tout à fait honnête projet Major Lazer sorti l'an dernier ? L'homme signe pour les trois lurons l'un des plus grands morceaux de bravoure de l'album à mi-chemin entre cérémonie tribale clapée, Dirty South schizophrène, et pop song moite. Et le groupe, loin d'être à côté de la plaque, a bien senti le filon. Et histoire de chauffer un peu plus haut le buzz, dote cette petite perle d'un clip viscéral, comme si Marc Dorcel réalisait un boulard gothique dans le labyrinthe de Pan de Del Toro.
« Et si l'on s'arrêtait là ? » pense t'on un peu en rougissant, sans jamais vraiment le vouloir. Mais non, non, le groupe éprouve le besoin de nous garder encore un peu de notre énergie histoire de nous abreuver d'encore deux titres qui nous en mettent une grande avec la paume.
Et justement, le premier d'entre eux porte assez bien son nom : In Your Face, premier morceau du premier album, le groupe avait donc pas intérêt à se louper. Et grand bien leur en fasse, ils envoient ici l'un de leurs meilleurs beats : grosses régressions Rock qui permettent aux deux MCs de lâcher toute leur hargne, syllabes cuttées de toute part, puis beat qui finit par vriller dans les abysses d'une avalanche de basses cathédrales. Les voix des deux MCs se mélangent, ils se mettent à chanter d'un coup, pour revenir à la charge avec leur flow mitraillette… C'est juste un gros bordel absolument jouissif qui nous arrive, effectivement, « dans la gueule ».
Quant à She Makes Me A Killer, il ne joue pas exactement dans le même registre, du haut de ses huit minutes (!). Beat simple, étouffé, clavier en putréfaction, Ninja est ici seul à poser et crache son texte le mieux dosé, rythmé et son flow le moins « pute » de tout l'album. Le rythme est parfait ici. Non sérieusement, dans la façon qu'à le morceau d'évoluer on ne joue clairement pas la même catégorie que sur le reste de l'album et c'est peut-être ce qui fait qu'il sorte aussi nettement du reste de la tracklist. Grosse tension quand le refrain se fait sentir par contre, fini de rire, Ninja te bloque la tête entre ses deux mains potelées, les claviers se chargent de te prendre la gorge et le flow de Ninja monte crescendo (ce « keepin' me pushin' and pushin' and pushin' » m'a même fait faire des cauchemars) avant de t'hurler à la gueule « SHE MAKES ME A KILLERRRRR ». Et là paf, on est 20 km au dessous du sol avec une bonne partie du cuir chevelu en moins, et quand on ne sait pas que le hurlement revient près de trois fois dans le morceau, on prend peur. Torture subliminale, mort lente sur l'autoroute, colère dans le ventre, perte de conscience, décès. Quand le morceau se termine sur ses chœurs cathédrale, on en est loin d'avoir fini. Alors on remet le morceau histoire de revivre ses huit minutes durant lesquelles on était au moins encore un peu vivant, en hurlant toujours plus fort. Lyrics débiles, toujours, et morceau à caractère chimiothérapique. Foutu paradoxe.
Bien sûr, devant un tel portrait, je me perds un peu dans les qualificatifs juteux de celui qui essaie de défendre non sans difficulté un plaisir coupable au sein de la pléiade de sorties un peu plus consistantes pour l'intellect de ses derniers temps, mais l'album ne réussit pas le sans faute, et on retrouve dans le tracklisting de petites erreurs de parcours peu inspirées et dans lesquelles, pour le coup, on entre vraiment dans le domaine du bide : ainsi, Rich Bitch, Enter The Ninja, ou l'un peu trop fanfaron Doos Dronk viendront un peu tâcher ce si plaisant napperon gras. Car oui, on ne peut que s'incliner dignement devant l'esprit décomplexé et l'énergie rave que déploient le reste de l'album, véritable boulet de canon. Certains passages m'ont même ramené à tout ce qui m'a fait aimer Spank Rock ou Buraka Som Sistema : un côté novateur, voire même carrément freaky et osé, le tout avec un enthousiasme absolument contagieux et, mine de rien, une fraîcheur bienvenue dans le genre.
Volontairement régressif, jamais sérieux, on entre ici dans quelque chose de complètement primaire et assumé. Vous êtes maintenant prévenus, plus de secret entre nous : $O$ est typiquement le genre d'album qu'on ne veut pas aimer. Aussi jouissif qu'interdit, aussi régressif que subtil, qu'importe si d'ici dix ans on entend plus parler de Die Antwoord, l'album est suffisamment ambitieux, suffisamment fou et dansant pour qu'on y trouve largement notre compte… Ou qu'on prenne ses jambes à son cou.
Une vraie petite bombe.
Tracklist de $O$
01 – Whatever Man
02 – WAT KYK JY
03 – Enter The Ninja
04 – Wat Pomp (Feat. Jack Parow)
05 – Wie Maak Die Jol Vol (Feat. Isaac Mutant, Knoffel, Jaak Paarl & Scallywag)
06 – Rich Bitch
07 – I Don’t Need You
08 – Very Fancy
09 – Dagga Puff
10 – My Best Friend (Feat. The Flying Dutchman aka Neo Sa)
11 – Liewe Maatjies
12 – $copie
13 – Beat Boy
14 – Super Evil
15 – Doos Dronk (Feat. Jack Parow & Fokofpoliciekar)
16 – $O$
02 – WAT KYK JY
03 – Enter The Ninja
04 – Wat Pomp (Feat. Jack Parow)
05 – Wie Maak Die Jol Vol (Feat. Isaac Mutant, Knoffel, Jaak Paarl & Scallywag)
06 – Rich Bitch
07 – I Don’t Need You
08 – Very Fancy
09 – Dagga Puff
10 – My Best Friend (Feat. The Flying Dutchman aka Neo Sa)
11 – Liewe Maatjies
12 – $copie
13 – Beat Boy
14 – Super Evil
15 – Doos Dronk (Feat. Jack Parow & Fokofpoliciekar)
16 – $O$