Après l'album Painting With de 2016, joyeusement foutraque, le groupe Animal Collective s'est tourné pendant plusieurs années vers le côté plus expérimental et abstrait de sa production. Et bien qu'il ont toujours été une entité à géométrie variable (même sur leurs albums les plus populaires), les projets qui ont suivi cet album Painting With l'ont été tout particulièrement, avec diverses combinaisons de membres se réunissant pour des bandes-son extravagantes, des albums conceptuels et des productions décidément cabossées publiés sous la bannière d'Animal Collective.
Time Skiffs peut être qualifié de "véritable" album, réunissant les quatre membres sur un album pour la première fois depuis Centipede Hz en 2012 et revenant à un son aussi pop qu'un groupe d’habitude connu pour son goût pour l’exploratoire peut nous proposer. Pour Animal Collective, on parle alors de mélodies flottantes et d’accroches anguleuses en plus de leurs arrangements chaotiques et colorés.
Après six ans d'ambiances subaquatiques et de méditations acoustiques bancales, le côté confortable du morceau d'ouverture "Dragon Slayer" nous surprend d’entrée. Il s'agit de deux accords, parsemés de mélodies synthétiques joyeuses, qui s'élèvent et retombent de façon dynamique à la façon des albums les plus rock du groupe, au sens le moins classique du terme. Je pense à l’album Feels de 2005 ou Strawberry Jam de 2007.
D'autres titres suivent le même chemin à des degrés divers. "Strung with Everything" s'ouvre sur une minute très ambiant de cloches recouvertes de réverbération et de nuages de guitares vaporeux, mais change rapidement de vitesse en déclenchant un rythme enlevé via un groove de basse glissant. Les doubles harmonies vocales des deux membres Panda Bear et Avey Tare s'enroulent alors sur des couplets ensoleillés, et les mélodies chantantes et caractère joyeux évoquent alors The Grateful Dead de l'époque de Terrapin Station, une des influences souvent citées par le groupe.
Il y a toujours beaucoup d'expérimentation même, mais au lieu que toutes les idées surviennent simultanément, comme c'est parfois le cas sur les albums les plus baroques du groupe, les atmosphères aquatiques et les instruments inhabituels sont intégrés dans des morceaux plus cohérents.
Il y a aussi beaucoup de virtuosité, avec des titres comme "Cherokee" et "Walker" qui offrent des grooves de basse au milieu de leurs percussions exotiques façon gamelan et de leurs ruptures célestes dans un ensemble étonnamment équilibré dans ses atours pourtant funambules. Le titre "We Go Back" explore de son côté une sorte de jazz fusion particulièrement aliénée avec ses couches de voix autotunées mais par touches parcimonieuses.
On est donc ravis de découvrir cet album Time Skiffs, qui nous fait entendre un Animal Collective dans le prisme le plus pop de sa vision musicale sans essayer de reproduire à nouveau l'électronique pure et les rythmes endiablés de ses périodes les plus fameuses. Au lieu de capituler ou de s'éloigner du bord lorsque leur son devenait trop déséquilibré, le groupe continue d'évoluer dans des directions imprévisibles sur cet album, mais qui révèle beaucoup de leur humanité et de leur poésie musicale.
https://anmlcollectve.bandcamp.com/album/time-skiffs