Le premier album de FKA twigs, LP1, sorti en 2014, n'était pas une réinvention totale du R&B, mais plutôt une variation sensorielle du genre, avec une oreille attentive à la musique électronique britannique, principalement dub, glitch et U.K. bass. FKA twigs est une conceptrice sonore soucieuse du détail et une chanteuse habitée qui fait de la musique pop expérimentale convaincante, indépendamment des notions de précurseur. En ce sens, son dernier album, Eusexua, nous rappelle constamment LP1.
Là où le premier album de FKA Twigs se mouvait en rampant ou en dégoulinant, Eusexua est surtout un album techno au rythme soutenu. Il est propulsif et fun, mais, comme LP1, il est enveloppé d'angoisse.
Les nouvelles préoccupations de l'artiste, toujours présentées avec un désir angoissé, sont omniprésentes sur Eusexua. Le concept de l'album est censé transcender la forme humaine, faire l'expérience d'un « sentiment au plus profond de soi... que les mots ne peuvent décrire », comme elle le chante sur le morceau qui a donné son nom à l’album.
Ce qui est intéressant quand on sait que la musique de FKA Twigs, ailleurs et surtout ici, est tellement ancrée dans le corps et d’ailleurs sur le titre « Striptease », FKA Twigs, dont on connaît le talent pour la danse, chante dans une cadence enivrée, presque choquante, sa « colonne vertébrale arquée... ses yeux [et] son sternum étirés en grand ». La façon dont sa voix s'élève et s'étire sur les breakbeats saccadés de la fin du morceau rappelle sa collègue la plus proche dans le domaine de la fusion R&B-électronique : Kelela, qui s'intéresse également à la relation entre les rythmes et le corps.
Plusieurs morceaux d'Eusexua ruminent le plaisir de se perdre sur la piste de danse et de se laisser aller à ses pulsions physiques. « Room of Fools » équilibre un certain dédain qu’elle ressent envers ses camarades “chiens errants”, ou les fêtards, avec un hommage à la communion de l'excès et de la vulnérabilité que procure l'espace. Le rythme du morceau associe une basse qui gronde comme un animal affamé à un synthétiseur plus vif et rebondissant.
Le morceau aérien « Girl Feels Good » est une ode à la simplicité du plaisir féminin dont la palette sonore se situe quelque part entre Ray of Light de Madonna et ce morceau des Dust Brothers dans le générique d'ouverture de Fight Club de David Fincher. Et les éclats vocaux kaléidoscopiques et l'humeur discrète de « Sticky » rappellent Flume. Mais c'est tout à l'honneur de la vision singulière de FKA Twigs que de réussir à synthétiser tous ces points de référence.
Rien de plus FKA twigs que dans ce nouvel album, où il est question de fatalisme, de vertus et de faux pas qui s'annulent, le tout avec un style bien à elle.
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