Historiquement, les albums solo de Noah Lennox sous le nom de Panda Bear ont été des espaces où il pouvait compartimenter certains éléments de son approche musicale, qui se fondent dans un tout plus vaste et chaotique lorsqu'ils sont jouées à travers son rôle au sein d'Animal Collective. Cela s’est matérialisé par les morceaux acoustiques, épurés et rituels de l’album Young Prayer (2004), les voix superposées et les échantillons hypnotiques de l’album Person Pitch, chef-d'œuvre de 2007, et les électroniques denses et aquatiques des œuvres plus récentes comme Buoys (2019).
Même dans leurs moments les plus bruyants, les différentes phases du travail de Noah Lennox ont toujours partagé une atmosphère particulière de solitude, provenant des recoins les plus profonds de son centre émotionnel, et sonnant comme si elles avaient été créées dans l’isolement. Ce nouvel album Sinister Grift brise en partie ce moule. Les synthés éthérés et les harmonies vocales rêveuses, héritées des Beach Boys, des premiers albums de Panda Bear sont toujours présents, mais sont ici accompagnés de guitares électriques, de batteries live, de basse et de morceaux qui adhèrent à des structures plus traditionnelles de groupe de rock.
L'ouverture remarquablement directe de l'album, Praise, est un tourbillon de mélodies sucrées et qui se superposent, avec des voix en appel et réponse et un accompagnement instrumental étonnamment joyeux. Le titre 50mg est paresseux et tropical, avec des lignes de guitare qui se glissent au milieu des bouillonnements acides des synthés, et le morceau Just As Well pousse encore plus loin ceci avec son rythme de Yacht Rock qui déambule.
Le côté spatial des arrangements, les instruments facilement discernables et le ton anormalement enjoué des morceaux confèrent à Sinister Grift l'apparence d’un disque bien rôdé, d'un groupe d’amis, qui se connaît de longue date. Lorsque le titre Ferry Lady arrive à mi-chemin de l'album avec son rythme fluide et ses paroles distraites et évaporées, il est facile d'imaginer Panda Bear et un groupe jouant ces morceaux tout sourire, alors qu'ils dérivent sur un bateau sous un ciel sans nuages.
Bien qu'il y ait eu d’importantes collaborations ici (Avec Cindy Lee chante sur Defense et plusieurs des membres d'Animal Collective ainsi que Rivka Ravede du groupe Spirit of the Beehive y ont participé), Noah Lennox joue la plupart des instruments lui-même et la majorité des voix sont ses empilements caractéristiques de voix auto-harmonisées couvertes de réverbération. La dernière partie de l'album est un peu plus froide et mystérieuse que le reste, avec l’atmosphérique Left in the Cold notamment, un titre sombrement onirique et Elegy for Noah Lou qui a quelque chose de brisé et dispersé, mais même dans ces moments moins extravertis, il n'y a pas cette angoisse latente et trouble qui était si palpable dans les disques précédents comme Tomboy. Noah Lennox utilise simplement les derniers titres pour nous faire atterrir en douceur après les pics sucrés et les joies ensoleillées qui ont précédé.
L’album Sinister Grift est un chapitre significatif dans l'histoire de Panda Bear, ne serait-ce que pour la manière dont il voit Noah Lennox se débarrasser d'une certaine anxiété tenace qui a longtemps fait partie de sa musique. Bien que restant principalement le produit d'un esprit solitaire, l'album est peut-être celui où Panda Bear semble le moins seul à ce jour.
https://pandabearmusic.bandcamp.com/album/sinister-grift