A l'occasion de la sortie de Demolished Thoughts le nouvel album de Thurston Moore (plus connu pour être un des chanteurs de Sonic Youth), nous l'avons rencontré (avant sa participation au festival Villette Sonique le samedi 28 Mai) pour qu'il nous parle de sa nouvelle réalisation et de sa collaboration avec Beck!
Comment se passe la sortie de ton nouvel album (Demolished Thoughts) ?
Il vient juste de sortir cette semaine, j’en suis très content. Je trouve que le vinyl est vraiment beau, je le préfère au petit CD sur lequel il est difficile de voir les détails.
Tu sembles très content de l’artwork?
Oui, utilisé l’œuvre de cet artiste new yorkais Steven Parino qui est mort 6 ou 7 ans auparavant lors d’un accident de moto. C’était un artiste expérimental, intense et sombre.
Beck est le producteur de ton l’album. Comment cela s’est-il fait ?
J’ai croisé Beck l’été dernier et il m’a montré son studio installé chez lui. Au départ j’avais prévu de tout faire chez moi, mais après réflexion je me suis dit qu’il serait intéressant de sortir de cette zone de confort et aller en Californie. C’était une aventure, je n’avais aucune idée de comment Beck allait s’approprier ma musique, mais je savais que ça allait être surprenant, et ça l’a été vraiment été !
Il a su colorer la musique qui était au départ très sombre. Je savais qu’il y avait une facette de ma musique qui avait besoin d’être travaillée, mais j’en avais peur. Beck y fut très sensible et fut capable de faire ressortir cette lumière dans la musique, de lui donner une énergie positive, alors que mon énergie était très négative lors de l’écriture.
En quelque sorte vous vous équilibrez mutuellement
Oui, on n’était pas vraiment sûr de ce qu’on allait faire, comment les choses allaient se mettre en place et se développer. On a donc laissé les choses se faire. Plus Beck se familiarisait avec les morceaux, plus il ses idées se précisaient sur la manière de les faire sonner sur le disque, d’introduire différents instruments comme le violon, la harpe, les percussions, la guitare acoustique. Il était très visionnaire
Les arrangements sont effectivement très frappants. Ils sont riches, constitués de nombreuses couches entremêlées de violons, harpes et autres cordes. Ce n’était pas ce que tu avais en tête au départ ?
J’imaginais quelque chose de plus brute avec ces chansons qui étaient assez simples au départ. Je voulais du violon et de la harpe, et j’avais en tête cette idée d’un trio pour interpréter cette musique. Mais je n’avais aucune idée de comment la mixer, alors que Beck a une approche très artistique du mixage, chose que je n’aurais jamais été capable de faire seul. La production de Beck est essentielle dans le rendu global de l’album.
Beck a-t-il contribué à l’écriture ou uniquement à l’arrangement ?
Il avait entendu des démos, il savait à quoi s’attendre. Mais c’est seulement lorsqu’on a commencé l’enregistrement, et que j’ai apporté le violon et la harpe, qu’il a écouté les idées de ses 2 musiciens. De mon côté, j’étais satisfait peu importe ce qu’ils jouaient.
Beck l’était aussi, mais il en voulais plus, et leur demandait de jouer différemment, plus vite, moins vite, plus fort, mois fort, plus d’énergie, plus d’attaque sur les cordes, etc…. Parfois il entendait une autre mélodie qu’il leurs montrait sur une des ses vieilles guitares acoustiques afin qu’ils puissent la jouer. Il a ainsi apporté beaucoup d’idées disséminées tout au long de l’album.
L’album est très introspectif. Sa réalisation fut elle une sorte de thérapie pour vous ?
Pour moi l’écriture a toujours été comme une thérapie. Cet l’album ne fait pas exception à la règle. Il évoque de ma propre psychologie, il comporte beaucoup d’analyses personnelles. Il devient effectivement une thérapie à partir du moment où il établit une zone ou je peux avoir un dialogue avec mes émotions sans avoir à apporter des réponses précises, mais permettant juste de les exprimer.
Cela a pour résultat de créer un sentiment de confort, mais aussi d’anxiété, car cela fait ressortir des choses et forme une sorte de journal de problèmes personnels qui vous arrivent dans votre vie sans qu’ils soient forcément évidents et identifiables.
C’est très thérapeutique, sans ça, je pense que je serai un peu perdu
Préférez vous travailler en groupe, avec Sonic Youth notamment, ou en solo ?
Je traverse des phases en terme de désir et de plaisir musical. Je pense néanmoins que ce que je préfère est l’improvisation pure, sérieuse, où tu joues seul ou en duo, ou avec d’autres musiciens avec lesquels tu créé de la musique spontanée en temps réel.
J’ai toujours aimé cette approche car la trouve plus en résonance avec la condition humaine. C’est très excitant intellectuellement et spirituellement. Ceci est beaucoup moins fréquent lorsque la musique est écrite. Mais j’aime aussi bcp l’art de composer une chanson, et je trouve qu’en quelque sorte il est plus excitant d’écrire une chanson que de la jouer en public.
J’aime beaucoup ce que fait Neil Young, de faire un album acoustique puis électrique, puis un bizarre, etc.. sa musique est différente... C’est la même chose, mais différent chaque fois. C’est une question de maturité, il ne le fait que pour exprimer ce qu’il ressent, calmement ou plus frénétiquement.
Je ne sais vraiment pas quelle approche je préfère. En ce moment j’aime beaucoup jouer cette musique avec ce groupe, mais en même temps, j’ai hâte de retrouver Sonic Youth et créer quelque chose de plus intense, primal...
Pensez vous que les gens peuvent être surpris par le Thurston calme et sensible quand ils sont habitués au Thurston plus fou, noisy et punk ?
Etre calme et introspectif a toujours été une réalité pour moi. Je ne sais pas si c’est déroutant, mais je sais que les gens attendent que je sois un peu fou et électrique, chose que j’ai d’ailleurs toujours cultivée et qui fait vraiment partie de moi. Mais même avec Sonic Youth il y a beaucoup de moments de recherche d’ambiances plus calmes et pastorales. C’est sûr que c’est moins évident lorsque tu as 4 personnes branchées sur des amplis voulant expérimenter avec des guitares trafiquées et désaccordées ou autres éléments noisy.
J’ai toujours aimé la musique calme et beaucoup de morceaux que je compose dans Sonic Youth sont au départ dans cet esprit, toujours composés sur une guitare acoustique, pour ensuite passer sur l’électrique avec le reste du groupe qui emmène le morceau vers cette dimension de musique hautement amplifiée.
L’idée de ce disque est donc de garder ma musique au plus près de sa forme originelle.
Cet album montre donc le vrai Thurston, sans artifice ?
Ce disque, c’est vraiment comment je me sentais en le faisant, j’avais besoin de rester au plus près de mon ressenti. C’est un peu comme une méditation, mais avec aussi de l’agitation. C’est un dialogue entre la méditation et l’anxiété.
Comment décrivez vous votre façon de jouer de la guitare ?
Je n’ai pas une façon de jouer très orthodoxe. Je n’ai jamais appris à jouer de la guitare traditionnellement, même si je connais certaines des positions et les motifs conventionnels. Je ne suis pas un guitariste très technique. J’ai donc établi mes propres règles, et mon approche a été formé en vivant à New York dans les années 60 et voir des groupes de punk rock (television ramones, dead boys patty smith group)
Tout le monde jouait de la guitare différemment, et on voyait des gens ne sachant meme pas jouer de la guitare dans des groupes (richard hell était une grande inspiration pour moi d’entendre les sons qu’il produisait car il était très simple mais très efficace.
Groupe comme Teenage jesus, Jerks, Radio lunch contorsions, DNA, Mars. Ces gens faisait la guitar avec l’idée d’expression et n’avait rien à voir avec l’histoire de la gtr. C’était quelque chose de très formateur pour moi car c’était le niveau 0 de la guitare.
Mon approche est que la guitare peut sonner génial et personnelle si on a le désir d’en jouer. J’ai commencé à la désaccorder car il me semblait que la manière traditionnelle demandait une certaine éducation. Ainsi j’ai réalisé qu’en la décordant je pouvais me libérer de certaines contraintes et créer quelque chose de nouveau. J’aimais l’idée aussi que je pouvais défier l’audience avec des sons inédits. Parfois cela ne sonne pas si différents d’une guitare normal
Parfois oui.
C’était uniquement pour trouver des moyens de jouer et répondre à nos envie d’exploration.
Les guitares que nous avions à l’époque étaient de mauvaise qualité, achetées pas cher ou empruntées. Elle sonnaient mal accordée traditionnellement, mais elle sonnaient vraiment bien désacordées, et trafiquées avec des baguettes de batterie ou un tournevis sous les cordes par exemple. Créer ces sons de gtr et écrire de la musique avec ça, était très excitant pour nous, et a toujours été mon approche.
Où en est la situation avec Sonic Youth ?
Sonic youth va faire un concert en août à Brooklyn NYC au Waterfront Festival, peut-êre quelques dates en Amérique du Sud en octobre je crois. En ce qui concerne l’écriture d’un album on a décidé de faire une pause d’au moins 1 an afin de se régénérer et explorer chacun de notre côté des plaisirs plus personnels, musicaux, artistiques ou autres…
Nous retravaillerons ensemble et somme très excités à l’idée de recommencer avec une fraicheur nouvelle, comme si nous étions un groupe tout neuf.
interview préparée par Romain Garnier