Compte rendu succinct d'un point presse avec Gonzales aux Nuits Sonores de Toulouse 2011, venu présenter son projet Chilly Gonzales and his quintet, dans le magnifique cadre de la Halle aux Grains.
L'homme nous parle de son image, de celle de l'Artiste, du musicien et de l’entertainer, de la musique classique et actuelle, du succès de Solo Piano à sa passion pour le rap. Bref, de lui, avec malice et ambiguité.

 

Est-ce que tu te considères plus proche du statut d'artiste ou de musicien ?

Moi je ne choisis ni l'un ni l'autre. Je m'identifie comme musicien, mais comme c'est très vague, je préfère spécifier que je suis un entertainer. Ce que ne se traduit pas facilement en français je crois.
Show man peut-être ? Pour moi entertainer, ça inclut artiste et musicien.

Un entertainer, c'est quelqu'un qui a digéré l'idée d'être créatif sans compromis à un moment de création, mais qui a compris aussi qu'il y a plein de stades après. Cela comprend la traduction d'un morceau d'art qui devient entertainement, ce qui veut dire que ça communique, que c'est un message qui prend en compte l'attente des gens. Pour moi, la définition de l'entertainment, c'est ça.
L'art, c'est souvent juste l'étincelle créative et le créateur qui va parfois oublier qu'il peut faire plein de choses pour bien le présenter, pour le communiquer, pour que l'oeuvre puisses avoir une vraie vie. Si on oublie ce stade, on n'est que dans l'art, et du coup on souffre de tous les problèmes de l'art.
C'est pour cela que je fais des disques et des concerts, que j'aime bien faire de l'argent pour le réinvestir dans mes projets, faire des films, avoir des orchestres... C'est la leçon du rap qui m'a montré ça : entertainement include art. But art doenst include entertainment.
Ça facilite la compréhension de la musique de Daft Punk par exemple. On est content qu'ils soient des entertainers et pas que des artistes. S'ils n'avaient été que des artistes, ils n'auraient peut-être pas fait ça, ils se seraient dit « la musique parle pour moi... ».

 

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Tu peux nous parler du travail sur la création de ce soir ?

Depuis l'album The Unspeakable Chilly Gonzales, je m'intéresse beaucoup aux instruments d'orchestre. J'ai fait dix pièces, aux Nuits Sonores de Lyon, quelques dates françaises, avec un orchestre allemand de dix personnes et une tournée allemande, ensuite un grand orchestre de 55 personnes à Vienne et là, il n'y a plus d'argent, donc je fais ça avec un quatuor de cordes.

Évidemment ce n'est pas qu'une situation logistique : avec un quatuor de cordes, ça fait vraiment musique de chambre. Ca amène quelque chose de délicat qu'il n'y avait pas avant, moins tsigane parce qu'il n'y a pas les cuivres ni les vents qui font le truc un peu bordélique, un peu désaccordé.

Et puis robe de chambre (qu’il porte tout le temps en concert) et musique de chambre, ça va bien ensemble.

 

 

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Est-ce que tu as pour projet de revenir à un album comme Solo Piano ?
Oui, le prochain. Je vais faire ça en décembre et janvier. Je suis là dessus depuis quelques années. C'est une phase de ma vie où je joue du piano presque tous les jours, au moins trois ou quatre heures, hors tournées. C'est bien, je me réveille le matin je pense au piano, je me couche, je pense au piano... J’aurai bien voulu le faire avant sincèrement.
Quand j'ai fait le premier (Solo Piano), j'étais dans un certain état et il faut que je me retrouve dans le même état pour le refaire sinon j'ai peur que ça soit pas au niveau du premier et tout le côté sacré de cet album va être violé et je ne veux pas ça. Donc j'ai attendu, l'album de rap m'a bien mis dans la position de « sous-chien », underdog, parce que personne n'a aimé, personne ne veut que je rappe en fait sauf moi. Donc je peux avoir un peu de rédemption, je peux m'excuser, demander l'indulgence d'avoir fait cet album The Unspeakable, et faire quelque chose qui mette plus ou moins tout le monde d'accord.

Qu'est ce que le fait de jouer avec un orchestre a changé dans ta manière de préparer un live et la musique que tu fais ?
Beaucoup. De faire un sacré bruit tout en étant dans la modernité. De savoir que tout le monde sur scène a un instrument dans lequel il souffle, sur lequel il tape, une corde sur laquelle il tire : on pourrait faire le même concert sans microphone, c'est hallucinant. Et de comprendre que la musique n'était que ça pendant 250 ans en Europe, c'est hallucinant. On le sait, mais de l'expérimenter !
Et ils savent où taper et quand souffler parce qu'ils ont un morceau de papier qui met tout le monde d'accord. C'est tellement simple en fait.

 

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En quelques mots, pour quelqu'un qui ne vous connait pas, c'est quoi l'esprit Chilly Gonzales ?

Je dirai que quand je fais des concerts, j'ai l'impression de convertir une majorité. Quand je fais des albums, je convaincs une petite minorité. La seule fois que j'ai réussi à convaincre avec un album c'était Solo Piano.
Mais un album c'est trop permanent, et je ne sais pas pour qui je le fais. Si mes albums ne sont pas hyper convaincants, il faut que je fasse beaucoup de lives pour convaincre les gens.
Faire un show, c'est comme aller à la guerre, il faut être préparé, il faut avoir un plan et savoir que tu le déchires neuf fois sur dix après cinq minutes.

Pensez vous que Solo Piano soit la base la plus sensible de votre musique ?
Oui parce que ça se rapproche le plus de ce que je fais en live. S'il fallait choisir un album qui est le plus comme un de mes concerts, ça serait celui là. Le fait qu'il n'y ait que le piano et une certaine pureté.
En même temps, je ne suis visiblement pas un pianiste hautain, ça ne me dérange pas si les gens utilisent Solo Piano comme un « coton tige ». Une des mes idoles, l'un des créateurs de South Park, a découvert Solo Piano à travers quelqu'un qui lui a dit que c'était une musique hyper bien pour les bébés. Le mec a eu son premier fils et il est tombé amoureux de Solo Piano. Évidemment c'était le meilleur jour de ma vie quand il m'a dit ça. C'est récurent que l'on me dise que ça repose. Les gens peuvent faire l'amour, ou la vaisselle, ou les deux en écoutant, je m'en fous (rires).
 
Après la culture hip-hop, y a t'il un autre style de musique qui vous intéresse ?

Ben je suis canadien, donc aucune culture (musicale) n'est la mienne ! On est Europe, en Amérique, tout est mélangé. Du coup, on a la liberté de prendre dans l'une et dans l'autre !
Sinon, je ne sais pas. Ça dépend de ce qui se passe dans la musique. Depuis le rap, il n'y a pas vraiment de nouveau style de musique.
Il faut peut-être que j'attende encore deux décennies pour voir arriver un nouveau style de musique qui s'appellera sûrement le « Bwork » ou un truc comme ça !

Vous nous avez expliqué que vous êtes un entertainer et que vous vous opposez très fortement à la mythologie de l' «Artiste» et pourtant, Solo Piano, l'album dont vous avez dit qu'il vous représente le plus, est justement celui qui fait le plus «Artiste» ?
Oui, parce que je ne parle pas, il n'y a pas d'humour visible et c'est quelque chose de pur. Donc il y a illusion de sincérité.
Mais crois moi quand j'avais 8/9 ans et que je regardais les Bee Gees à la télé, je n'étais pas en train de jouer du Satie.
Solo piano, c'est un autre masque avec une illusion d'intimité qui fait que les gens croient que c'est moi. J'étais content que ça pousse les gens à aimer l'ensemble de ma musique, mais ce n'est pas non plus ce que j'ai envie de faire exclusivement.
Ça aurait été un mensonge de dire que j'étais enfin arrivé à un truc « vrai ». Il y a des gens qui m'ont demandé pourquoi je n'avais pas fait Solo Piano sous mon vrai non, Jason Beck. Mais je n'ai jamais encouragé personne à penser que Solo Piano c'est quelque chose de plus « moi » qu'avant.

J'ai l'impression que vous mettez cet album sur un piédestal ?

Ben, ça m'a amené beaucoup d'argent. C'est le truc qui a le mieux marché et le public a raison. Donc oui, je le mets sur un piédestal. C'est le seul truc que j'ai fait qui a vraiment été reconnu par un public énorme : des acupuncteurs au Mexique à des dictateurs en Ouzbékistan, tout le monde aime !


Comment faites vous pour avoir une telle confiance dans vos projets ? Où puisez vous votre force pour avancer ?

Ma génération de musicien est très pauvre au niveau du talent. Et j'ai compris que j'en avais plus que les autres. Ça sonne mal mais c'est vrai. Je savais que j'étais mieux musicalement mais que tout le monde réussissait plus que moi parce qu'ils avaient déjà compris qu'il fallait communiquer avec les gens. Ça m'a pris du temps de le comprendre.
Mon talent ne se communique pas de lui même. J'ai ce talent, dont je parle tout le temps, all right asshole, what you gone do with this ?
Mais le talent est une base, et il faut une communication avec : "Communication multiplié par talent = confiance !" C'est ma formule !

 

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Vous dégagez une image très prononcée, est-ce une manière de compenser ce que vous appelez les limites de votre talent musical ?
Vous avez raison. Jusqu'à 28/30 ans, je n'avais pas compris ce truc qui fait que tout le talent, sans communication ça ne marche pas. Quand j'ai compris ça, j'ai peut-être « surcuit » ma réaction.
Donc j'ai peut-être compensé pendant un petit moment, jusqu'à aujourd'hui...
Dans un monde idéal j'aurai pu être juste artiste, mais j'ai compris que dans notre monde actuel, c'est pas possible. C'était un jour triste peut-être, le jour où j'ai décidé que j'allais «auto-tuer» l'artiste en moi. L'artiste en moi aurait bien voulu être dans un monde où la musique est assez, le talent suffisant.

Pour finir, pouvez vous approfondir votre notion du divertissement (Entertainment) ?
Divertissement, c'est trop léger comme mot. C'est pas exactement ça entertainment, c'est pas léger. Je n’arrive pas à trouver le bon mot en français.
En fin de compte, je viens d'une société assez capitaliste où l'on apprend vraiment que le public a raison.
Quand je fais un concert, je veux que les gens se disent que j'ai pensé à eux et que je joue vraiment pour eux, là, maintenant. Ça c'est l'entertainment.
Plein de mes potes disent que ça les fait chier de faire des lives, qu'ils n’ont pas envie de chanter sur scène.
Je les envie un peu, je me dis : « Mais putain, vous êtes contents de faire des albums, de rester dans un studio et de faire un morceau pour après le laisser dans le monde sans savoir ce que les gens pensent ?! ».
Ca serait un cauchemar pour moi, si je n’avais pas, jour après jour, des entretiens, des échanges, avec soit des journalistes, comme vous, soit un public.
Je dois y aller. Mais après le concert, soyez bien critiques ! Si vous trouvez qu'il y a des choses qui se contredisent ou des hypocrisies par rapport à ce que je fais sur scène, je veux l'entendre !

Interview réalisée le 06/11/11
Crédit photo : Gigsonlive - Pierre Humbert - Lola Mirti / La Petite

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